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Le CSE est-il une démocratie ?

Qui dirige vraiment le CSE et comment prend-il ses décisions ?

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Le CSE est-il une démocratie ?

La question pourrait étonner, et pourtant il n’est pas certain que la réponse soit identique dans toutes les entreprises. Voyons ensemble si le CSE est une autocratie, une oligarchie ou une démocratie :

Le CSE est-il une autocratie ?

Couronne

"De toute façon, à la fin c’est la patronne/le patron qui décide."

C’est une affirmation que j’entends parfois au sein des formations lorsque vient la question du rôle du représentant du personnel.

Cette vision fait écho à un système autocratique, au sein duquel un individu détient l’intégralité des pouvoirs. Mais est-ce bien vrai ? Le CSE est-il dirigé par une unique personne, le chef d’entreprise, selon son bon vouloir ?

L’article L. 2315-23 du Code du travail prévoit en effet que dans les entreprises d’au moins cinquante salariés le CSE « est présidé par l'employeur ou son représentant ». Communément désigné comme le/la Président.e du CSE, cette personne est donc à la tête du CSE, mais qu’est-ce que cela signifie véritablement ?

Avant de s’interroger sur la signification de son rôle, qu’en est-il des CSE dans les entreprises de moins de cinquante salariés :

Comme souvent concernant ces « petits » CSE, aussi dénommés « délégation du personnel au CSE », le Code du travail est chiche en indications, précisant simplement dans son article L. 2312-5 que « la délégation du personnel au comité social et économique a pour mission de présenter à l'employeur les réclamations individuelles ou collectives […] ».

Si l’on suit l’écriture de cet article, il n’y a donc pas de Président(e) de CSE dans les structures de moins de 50 salariés. La raison est simple, comme précisé dans l’article L. 2315-23 du Code du travail mentionné ci-avant, seuls les CSE dans les entreprises de plus de 50 salariés sont dotés de la personnalité morale. Cette personnalité permet à un CSE d’obtenir une existence propre, un compte bancaire et du patrimoine (des ordinateurs, des voitures, des immeubles…), et même d’agir en justice et d’être attaqué en justice. En l’absence d’une telle personnalité morale et juridique, le CSE en tant que tel n'existe pas, il s'agit donc d'une délégation du personnel au CSE, et ses membres s’adressent donc directement à l’employeur.

Pour simplifier, l’on pourra donc considérer que dans les entreprises de moins de 50 salariés, le CSE n’existe que à travers ses membres, là où dans les entreprises de plus de 50 salariés, le CSE est un tout composé de ses membres. Il est vrai cependant, que même si le Code du travail ne le prévoit pas, beaucoup d’entreprise de moins de 50 salariés utilisent le terme de Président.e de CSE.

Dans tous les cas, c’est donc bien l’employeur, ou son représentant, qui préside le CSE. Et cet employeur possède, au sein de sa société, de nombreux pouvoirs : le pouvoir disciplinaire, soit la capacité à sanctionner un salarié, le pouvoir décisionnaire, la capacité à décider de la stratégie de l’entreprise, la capacité à modifier les conditions de travail…

Il semble donc logique que l’employeur conserve ces pouvoirs jusqu’au sein du CSE, même si d’autres hypothèses ont été envisagées par le passé. Tel fut notamment le cas lors de la création de l’ancêtre du CSE, le comité d’entreprise, dans la France d’après-guerre, en 1945, le « Programme du Conseil national de la Résistance » prévoyant « le droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie ».

En clair, une proposition d’un comité d’entreprise qui co-dirigerait la société, voir la dirigerait tout à fait. Les syndicats d’alors, notamment la CGT, militaient pour ce pouvoir de gestion de l’entreprise par le Comité d’Enterprise, mais ce fut finalement un rôle consultatif qui fut retenu dans le projet de loi.

Je vous invite à consulter le document, d’époque : Ordonnance n° 45-280 du 22 février 1945 instituant des comités d'entreprises

[https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000704562]()

JO%2023%2002%201945

Il a donc été décidé que l’employeur restait maitre à bord, mais qu’est ce que cela signifie concrètement ?

On peut citer, de manière non exhaustive, que c’est le Président de CSE qui fixe les dates, l’heure de commencement ainsi que le lieu des réunions du CSE, il peut suspendre temporairement la séance, mener les débats... Mais le cœur du CSE, qui cristallise parfois les critiques à son égard, est la procédure d’information et de consultation. Le Président de CSE a en effet l’obligation de consulter, c’est-à-dire demander l’avis du CSE, notamment dans les entreprises de plus de 50 salariés, sur de nombreux sujets, avant de mettre en place certains projets ou décisions. Sauf quelques rares exceptions, l’employeur n’a aucune obligation de suivre les recommandations faites par l’instance. Il ne s’agit qu’un avis.

Dans cette configuration, difficile de donner tort à l’affirmation en préambule : le CSE est dirigé par un employeur qui a le dernier mot sur la majorité des sujets.

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Le CSE est-il une autocratie pour autant ?

La réponse est plutôt négative, on peut immédiatement citer que l’employeur doit respecter la loi qui encadre le CSE, et que ses actions seront contrôlées par l’inspection du travail, les magistrats et tous les acteurs de la justice. Ainsi un employeur qui déciderait de n’organiser aucune réunion du CSE serait sanctionné : Cass.crim. n°76-93162 du 22 novembre 1977

Et surtout, il est important de ne pas se fourvoyer sur le rôle du CSE. Comme expliqué plus tôt, le CSE a donc un rôle uniquement consultatif, et si cela peut se révéler en effet parfois frustrant, ce n’est pas un rôle dénué d’intérêt pour autant. Pour de nombreuses entreprises, même si la loi n’impose pas de suivre les recommandations du CSE, celles-ci sont étudiées avec sérieux. Elles reflètent non seulement la réalité du terrain, mais également l’opinion des salariés, et favorise l'amélioration voir la réussite de certains projets. Dans les entreprises les plus vertueuses, le CSE joue donc un rôle de conseil et de co-construction

A l’inverse, dans les sociétés où le dialogue est impossible avec l'employeur, le rôle du CSE se cantonne alors à celui d’une alerte ou de mises en garde. En effet, si le CSE ne possède qu’un avis consultatif, cela signifie également qu’il ne porte pas la responsabilité des décisions. Ainsi, un employeur alerté sur une situation dangereuse, qui ne prend aucune mesure nécessaire, peut-être reconnu responsable au titre de la faute inexcusable. Le CSE et ses consultations sont parfois vus comme une case à cocher dans une procédure, et cela est dommageable car le rôle du CSE ne devrait pas se cantonner à de la figuration, un employeur a tout gagner à dialoguer avec l'instance. Enfin il ne faut pas oublier que si l'avis du CSE est consultatif, il n'en demeure pas moins qu'il est obligatoire de la consulter avant la mise en place d'un projet.

Exemple : en l’absence de consultation du CSE, les juges ont ordonné à l’employeur de cesser toute utilisation d’un nouvel outil de pilotage commercial comme moyen de contrôle de l’activité des salariés (Cass. soc., 10 avr. 2008, no 06-45.741)

Une aide efficace sur ce sujet est la capacité des CSE de plus de 50 salariés, dotés d’un budget de fonctionnement, de s’offrir les services d’un conseil juridique. Cette démarche est, à mon sens, encore trop peu répandue et pourtant essentiel pour comprendre les situations où le CSE doit intervenir et proposer des démarches efficaces et constructives. Pour les CSE de moins de 50 salariés, sans budget de fonctionnement, ils doivent se reposer uniquement sur des services de Maisons de droit, du Défenseur des droit et de l’inspection du travail.

Le CSE est-il une oligarchie ?

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« De toute façon, tel syndicat est majoritaire au CSE, c’est lui qui fait la pluie et le beau temps ».

Voici une seconde affirmation que j’entends occasionnellement dans mes formations.

Prenons une hypothèse : un CSE est composé de 20 membres, 10 titulaires et 10 suppléants. Une décision d’une grande importance doit avoir lieu. Arrive le jour du vote et seul un membre du CSE est présent. Les autres membres du CSE ont boycotté la réunion. Ce seul membre du CSE a-t-il le pouvoir de rendre un avis ?

Aussi étonnant que cela puisse paraitre, la réponse est affirmative.

Le quorum est le nombre minimum de membres devaient être présent pour qu’une réunion ou un vote soit valide, et le Code du travail n’en prévoit pas, les décisions du CSE sont prises à la majorité des membres présents (article L. 2315-32 du Code du travail). L’exemple, sans doute un peu farfelu, reflète une réalité plus prégnante : les décisions du CSE peuvent être théoriquement prises par une poignée de personnes, voir une seule personne.

Si sur ce point de nombreuses situations sont possibles, en voici quelques-unes :

Le CSE déserté :

Un cas que je rencontre occasionnellement est celui d’une désaffection d’une partie des membres du CSE. Ce désintérêt peut être lié à de multiples raisons : mauvaise compréhension du rôle de membre de CSE, absence d’adaptation de charge de travail par l’employeur, conflit au sein du CSE ou de la société… Le fait est que certains membres se désengagent du CSE ou démissionnent, sans que cela soit suffisant pour déclencher des élections partielles. La charge de travail du CSE échoit donc à une poignée de membres restants, souvent très impliqués, qui portent à bout de bras la vie du CSE, avec parfois des conséquences malheureuses : burn out, frictions avec les autres membres ou salariés, bouc émissaire, pression de l’employeur…

C’est une situation parfois difficile pour ces membres et il est bon de rappeler que à l’impossible nul n’est tenu. Il est tout à fait possible dans ce cas de lever le pied et de communiquer à ce sujet, expliquant aux salariés que le CSE fonctionnera en sous-régime du fait de la situation. Et il est possible d'inviter les salariés, s’ils le souhaitent, à assister les membres du CSE dans leurs missions, en devenant représentant de proximité par exemple, une nouveauté du CSE, ou même à se présenter aux prochaines élections.

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La figure d’autorité :

Il existe également le cas où, pour des raisons diverses et variées, un membre du CSE va devenir le chef officieux de l’instance. Cela peut-être tout à fait positif, cette personne pouvant prodiguer des conseils avisés et guider les membres les plus novices, mais j’ai également constaté des dérives, à l’instar d’une secrétaire de CSE qui gérait seule le budget, filtrait les communications avec l’employeur et imposait aux membres un discours à tenir.

Cela va, à mon sens, à l’encontre de l’esprit du CSE qui vise à porter la voix de l’intégralité des salariés. Il peut être intimidant de prendre la parole face à l’employeur, mais contredire un collègue peut l’être tout autant. Pour ces raisons, il est bon d’organiser la vie du CSE, de permettre des temps de réunions entre élus, pour discuter des sujets, notamment ceux qui préoccupent les salariés, et répartir la charge de travail et les missions.

Au CSE chaque membre est égal et chacun a le droit à sa propre opinion.

Le syndicat majoritaire au CSE :

Enfin, pour en revenir au début de cette présentation, le cas du « syndicat majoritaire au CSE ».

Pour s’interroger sur ce point, il suffit de se poser une question simple : les membres du CSE sont-ils syndiqués ?

La réponse est : impossible de le savoir.

Cette affirmation peut étonner puisque dans certains CSE les candidats ont tous été élus au premier tour. Or, ce premier tour est réservé aux candidats présentés sur une liste syndicale. Ainsi, il serait légitime de considérer qu’un CSE entièrement élu au premier tour est composé de membres syndiqués. Il n’en est pourtant rien, chaque syndicat possède la faculté d’accepter sur sa liste des candidats syndiqués ou non. Plus encore, certains membres adhèrent par conviction, par nécessité par se présenter, pour être avec un collègue, ou même ne renouvellent pas leur adhésion en cours de mandat…

En un mot, l’engagement syndical est un élément privé que ni l’employeur, ni les autres salariés ne peuvent savoir si le salarié ne le révèle pas. Le seul à devoir déclarer cette affiliation est le délégué syndical (ou le représentant syndical au CSE, ou encore le représentant de section syndicale), qui eux sont effectivement, en principe, adhérents d’un syndicat.

Donc au CSE, les membres du CSE peuvent être, ou ne pas être, syndiqués, qu’ils aient été élus au premier tour ou non. Et cette précision est cruciale. Lorsqu’un membre du CSE est élu, alors qu’il figure sur une liste présentée par un syndicat, il va permettre au syndicat d’engranger des points, lui permettant d’obtenir un poids dans les négociations au niveau de l’entreprise, de la branche et même au niveau national. Et lorsque ce syndicat remporte suffisamment de points, il peut devenir majoritaire.

Et ici que la confusion s’opère.

Cette majorité ne vaut que pour les NAO, les négociations annuelles obligatoires et la négociation d’accords d’entreprise. Il est vrai que les syndicats ont des liens fort avec le CSE, mais en aucun cas ces deux entités doivent être confondues. Le syndicat et le CSE n’ont pas les mêmes pouvoirs et les mêmes missions. A titre d’exemple un délégué syndical n’est pas consulté sur le Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels et le CSE ne peut pas négocier un accord sur le télétravail si un syndicat est présent dans l’entreprise. Le syndicat possède en effet le monopole de la négociation sur de nombreux sujets, l’augmentation des salaires pour le plus notable. Les syndicats possèdent ainsi un poids plus ou moins important pour ces négociations selon leurs scores aux élections. Et un syndicat qui a obtenu suffisamment de votes, plus de 50%, devient donc majoritaire, et peut, en effet, négocier seul, sans les autres syndicats.

Ne cela ne concerne pas le CSE. Comme nous l’avons vu, au CSE, chaque membre est égal et possède sa propre voix. De plus, le CSE peut être consulté sur de nombreux sujets : santé et bien-être au travail, harcèlement, environnement, activités sociales et culturelles, visites de site,… Ces sujets ne sont pas liés à une appartenance syndicale. Et quand bien même la majorité des membres du CSE appartiendrait à un syndicat, que cela soit vrai ou non, cela ne signifie pas qu’ils ont les mêmes opinions sur l’intégralité de ces sujets. Plus encore, dans de nombreux cas, ce n’est pas l’avis du CSE qui est sollicité, mais bien celui des salariés, pas celui des syndicats.

On pourrait penser que cette confusion est anodine et pourtant elle est lourde de conséquence, elle entretient l’idée que le CSE n’est qu’une prolongation du syndicat. Si les deux entités peuvent être complémentaires, elles demeurent distinctes. Exemple : une discussion âpre sur le salaire en NAO ne doit pas gêner l’enquête d’un accident de travail en réunion de CSE. Le CSE ne doit pas devenir un champ de bataille entre syndicats, car les premiers pénalisés sont souvent les salariés.

A l’inverse, un CSE et des syndicats qui collaborent et utilisent conjointement leurs capacités, permettent bien souvent un dialogue social plus impactant et constructif.

Le CSE est-il une démocratie ?

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Selon les éléments vus précédemment, la réponse est loin d’être évidente.

En effet les membres du CSE représentent les salariés, votent à la majorité et sont égaux, cela est semblable à des règles démocratiques. Le CSE pourrait même être comparé à notre système démocratique parlementaire dans le sens où les membres du CSE joueraient un rôle comparable à celui des députés. A l’instar de ceux-ci ils représentent une fraction spécifique de la société : les cadres, les ETAM, les ouvriers, mais également leur service, leur région, leur métier… Et cela ne les empêchent par de s’exprimer pour l’intérêt global des salariés de l’entreprise, tout comme les députés peuvent proposer des lois ayant vocation à s’appliquer à tous.

Le CSE est donc confronté aux mêmes problématiques, à une échelle moindre évidemment, qu’un Parlement. Comment s’enquérir des difficultés des salariés ? Que faire face à une direction sourde à toute revendication ? Comment proposer des solutions qui satisfassent tout le monde ? Pour poursuivre, et aussi étonnant que cela puisse paraitre, le Code du travail n'impose pas aux élus de consulter les salariés. Leur élection initiale leur donne, selon la loi, une légitimité pour toute la durée de leur mandant, à l’instar d’un.e député.e ou d’un.e Président.e de la République. Ainsi, même si aucune obligation légale existe, il est fortement recommandé aux CSE de s'enquérir auprès des salariés de leur avis, notamment lors de décisions importantes. L'utilisation de sondages est, selon mon expérience, encore trop peu développée et cela dommageable, car un tel outil permet de s'assurer d'une réponse juste et de la légitimité du CSE. Les référendums d'entreprises sont bien prévus par la loi, mais pour de rares scénarios.

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Enfin, difficile de comparer le CSE à une démocratie car l'instance est plus complexe qu'il n'y paraît. La différence entre les CSE dans les entreprises de moins et de plus de 50 salariés d'une part, mais également le rôle ambivalent du président de CSE qui possède, nous l'avons vu, beaucoup de pouvoirs, mais paradoxalement ne dirige pas l'instance, puisque le CSE n'a pas de chef, les décisions sont prises à la majorité.

Il existe enfin des situations où les membres du CSE devront agir en collégialité : vote lors d'une consultation, utilisation des budgets, ... Mais d'autres cas où l'individualité des membres est préservée : liberté dans l’utilisation des heures de délégation, recours aux droits d’alerte...

Si le CSE n'est peut-être pas une démocratie au sens strict, il repose néanmoins sur un principe fondamental, le droit des salariés d’être impliqués dans l'organisation de leur travail, et en cela, le CSE a fort à faire.

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